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Quand ils ne seront tous plus de ce monde

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Il fut le premier Président de la République. Il vient de nous quitter. Il fut parmi les premiers d’entre vous. Il sera toujours l’un de nos illustres ainés. Je voudrai, dans ce contexte, dire et écrire quelques propos entendus il y a de cela plusieurs décennies. Nous recevions, ce jour là, à déjeuner, un proche accompagné d’un monsieur que nous ne connaissions pas, que nous n’attendions pas et dont la présence fut pour nous une véritable surprise. Ce personnage, la soixantaine bien entamée, s’exprimait plutôt en arabe classique avec un accent familier des régions de l’extrême-est de notre pays. Il était affable et sympathique et portait une impeccable tenue traditionnelle.  Au cours du repas, notre convive ne parla pas beaucoup mais prononça juste quelques paroles qui faisaient allusion à une visite de courtoisie qu’il venait d’effectuer la veille dans une ville d’Algérie dont il ne précisera pas le nom. Je compris plus tard que cet invité ne venait pas du froid mais qu’il était citoyen Libyen. Il venait de rendre visite au premier Président de la République Algérienne qui, libéré de prison, était assigné à résidence, selon les termes utilisés à l’époque, et ce suite à sa longue détention. Nous étions en 1980.   



Il nous relata trois choses. Il nous révéla  que le Président Ahmed Ben Bella avait au cours de sa longue détention appris l’intégralité du Coran, qu’il était extrêmement cultivé et il fit l’éloge de ses  qualités humaines. Je commençais à me demander au fond de moi-même quelles pouvaient être les raisons de cette longue incarcération et m’interrogeai sur ce destin qui me semblait, à bien des égards, si lourd à porter. Je ne comprenais pas aussi pourquoi Ahmed Ben Bella qui fut le premier Président de l’Algérie indépendante et qui fut, au coté de ses huit autres frères de combat, un des membres emblématiques du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), fut emprisonné pendant une période si longue alors qu’il connut les affres des prisons coloniales.





 
Durant le repas, je réussis  à contenir ma curiosité maladive et du fait de l’omerta ambiante que suscitait, à l’époque, la simple évocation de son nom, je me rendis à l’évidence et compris que je devais juste me contenter d’écouter notre illustre invité d’un jour qui n’était d’ailleurs pas bavard.  A la fin du déjeuner, notre visiteur sortit de son attaché-case un visuel, un Polaroid, la photo numérique n’étant pas en vogue à l’époque, qui le montrait en compagnie du Président Ahmed Ben Bella.  Ce monsieur nous quitta ensuite et alla rejoindre l’hôtel où il résida pendant son séjour à Alger. J’avoue qu’à l’époque, comme aujourd’hui, nous vivions dans un environnement plutôt difficile et l’étudiant que j’étais avait un peu peur de cette situation inédite mais était aussi fier qu’une personne vint à la maison nous parler du Président Ben Bella et que ce passé si occulté s’invite et fasse irruption, à la faveur d’un heureux concours de circonstances, dans le présent. Cette situation qui me semblait être dans la transgression de l’interdit politique me procurait une sensation qui faisait évidemment beaucoup de bien. J’appris quelques jours plus tard en lisant quelques biographies restituées que le Président Ahmed Ben Bella  combattit aussi le nazisme notamment à la bataille du Monte Cassino et qu’il fut fait croix de guerre et décoré de la médaille militaire. Il fut aussi l’ami du Che. Il exerça le pouvoir pendant presque 3 années et connut les geôles de l’Algérie indépendante pendant presque 15 ans. Les dernières fonctions du Président Ahmed Ben Bella furent honorifiques et il présida un comité de Sages de l’Union Africaine. Ses derniers plaidoyers furent, selon certains témoignages, en faveur d’une plus grande intégration régionale du Maghreb. Que son âme repose en paix.

Mais ce retour à Dieu, parfois dans des circonstances tragiques pour certains d’entre eux, d’acteurs majeurs du mouvement national laisse notre mémoire orpheline et amputée. Et notre  quête d’éclairages risque de durer encore longtemps. Car quand au nom de la mémoire, de la paix des cœurs et de celle des consciences toutes les vérités seront dites, notre volonté soutenue d’entendre ceux qui sont encore de ce monde ne sera plus vaine. Quand les vérités ne seront plus dévoyées, nous écouterons avec ce silence qui sied tant aux ainés. Nous voulons juste dire qu’ils sont encore en vie. Nous n’avons ni haine et ni comptes à épurer. Nous n’offenserons jamais personne. Et dans le respect absolu de ceux qui à jamais se sont tus. Et de ceux aussi qui n’ont jamais pu. Dites-nous ce que nous espérons entendre et connaitre. Dans le respect des consciences. Des familles. Des victimes et même des coupables.

Nous voulons comprendre et écouter. Et quand vous ne serez tous plus là,  où irions nous donc puiser nos repères et qui nous dira la clarté qui permet au mieux de voir et au plus d’avancer ? Quelle mémoire apaisée nous restera-t-il ? Comment saurons-nous distinguer ces périls qui viennent où qui sont déjà là ? Nous avons soif de vous entendre parque vous êtes encore parmi nous et que vous êtes les ainés. La continuité n’est-elle pas la mémoire transmise ? Et la rupture, la main tendue qui permet de passer de la pénombre à la lumière ? La rupture, n’est-elle pas aussi la continuité assumée dans ses turbulences, ses travers et ses questionnements. Et ces grands hommes, morts, emprisonnés, suppliciés, assassinés où contraints à l’exil ne méritent-ils donc pas que nous les redécouvrions avec ce regard épuré de tout jugement de ceux et celles qui n’étaient pas là, parce que trop jeunes où pas encore nés. Pourquoi et comment se peut-il que nous ne sachions pas ? Que nous ne saurons peut-être jamais. Le drame n’est-il pas plutôt de récuser la lumière, la vérité et l’histoire ? Et n’est-il pas aussi l’amnésie, les non-dits et l’oubli ? Ce silence est assourdissant. Il nous torture et nous rend aveugles. Et ces moments sont si difficiles à comprendre que l’on vient à regretter désespérément de n’avoir pu les vivre. Et aussi ces événements majeurs dont on n’a pas souvenir et qu’on ne peut appréhender et qui marquent au fer rouge de jeunes nations en devenir comme ces premières années de l’indépendance de l’Algérie qui ne furent pas de tout repos et dont nous ne connaissons pas les non-dits. Et vos précieux souvenirs et vos pertinents témoignages auraient-ils sans doute permis de comprendre l’irruption de luttes fratricides si précoces afin qu’elles ne recommencent jamais plus ? Nous pouvons cependant imaginer la trame structurante d’une période qui aura été marquée par de notables différents et dont les effets sur notre devenir et sur notre situation actuelle sont sans aucun doute indéniables. Dans l’une de nos modestes contributions [1], nous évoquions cette séquence, et celles qui lui succédèrent,  notamment dans son incidence sur notre mémoire collective, puisqu’elle fut fondatrice de la jeune nation algérienne indépendante, et les traumatismes inévitables qu’elle continuera,  dans ses prolongements et au même titre que d’autres segments douloureux de notre passé,  de susciter. Une longue et douloureuse nuit coloniale. Puis l’éveil des consciences et une guerre de libération nationale. Puis ce long silence que furent ces cinquante années que nous venons de vivre. Ce silence qui ampute notre mémoire et nous empêche de comprendre, malgré toute notre pudeur, une période difficile qui nous est impossible de déchiffrer puisqu’elle nous est inconnue et qu’il appartiendra peut-être aux jeunes historiens algériens de comprendre, de décrypter et de restituer. Quand à ceux qui sont encore là, en plus de leur souhaiter longue vie, permettez-nous de leur redire que nous voulons que le silence soit rompu et que nous puissions enfin les écouter afin que nous soyons nous aussi entendus. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant que nous ne soyons tous plus de ce monde.

[1] « saignements mémoriels et légitimes espérances ». In le Quotidien d’Oran du 2012-03-06 



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