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C’est déjà l’aube à Alger. La lumière naissante à l’horizon permet à la baie de révéler toute sa splendeur. L’air est humide et les sirènes ont hurlé toute la nuit. Amine prie dans la petite mosquée d’El Madania. Amine à vingt deux ans et vient juste d’avoir un fils. Il doit aujourd’hui rencontrer son destin et accomplir sa mission. Exécuter un sinistre personnage, sanguinaire, tortionnaire et assassin de dizaines des meilleurs enfants de ce pays.
C’est déjà l’aube à Alger. La lumière naissante à l’horizon permet à la baie de révéler toute sa splendeur. L’air est humide et les sirènes ont hurlé toute la nuit. Amine prie dans la petite mosquée d’El Madania. Amine à vingt deux ans et vient juste d’avoir un fils. Il doit aujourd’hui rencontrer son destin et accomplir sa mission. Exécuter un sinistre personnage, sanguinaire, tortionnaire et assassin de dizaines des meilleurs enfants de ce pays.
Ce matin, Hector est de mauvaise
humeur. Responsable de la maintenance des ascenseurs de cette petite résidence plutôt
calme et agréable de l’ouest parisien, il a décidé de ne plus parler à son voisin.
Depuis qu’ils ont échangé quelques propos amers, ils ne pourront plus jamais discuter
de sujets qui fâchent. Ni même être de bons voisins. Seulement deux personnes
dont la probabilité de se croiser dans le hall d’entrée de l’immeuble est très
petite. Hector est natif de Castiglione, aujourd'hui Bou Ismail, ville côtière
de l’ouest d’Alger qu’il quitta adolescent durant l’été 62. Juif d’Algérie, ses
parents étaient artisans-tailleurs. Il se souvient de ce départ précipité sous
une chaleur torride et de ce bateau en partance pour d’autres rivages. Un jour,
il relata à son voisin qu’adolescent il vit un colon, grand propriétaire
terrien parcourant à cheval «ses immenses
vergers», interpeler ses ouvriers indigènes qui travaillaient sous un
soleil de plomb en usant de l’indigne vocable de «sales crouilles». Ces propos
ne firent pas du tout sourire son interlocuteur qui lui asséna en guise de
réponse qu’en Algérie les femmes ne s’appellent désormais plus, comme au bon
vieux temps, toutes Fatma mais qu’elles ont
un nom, un prénom, une dignité et surtout un pays. Hector se rend de temps à
autre au Proche-Orient. Depuis que son voisin lui a dit qu’il y a dans cette
région du monde de la place pour deux états distincts et que Jérusalem appartient
aussi aux chrétiens et aux musulmans puisqu’elle abrite en son sein des lieux sacrés
qui appartiennent à ces deux religions, il se vexa. Il déclara que la poire ne pourra
jamais être partagé en deux et qu’ «on ne
les chassera plus de là-bas comme on les a chassé d’Algérie ». Jamais personne
ne compris l’allusion mais tout le monde en déduit que Hector ne peut plus contenir
son ardeur militante. Dans ses propos, le triste sort qu’il réserve aux
palestiniens est sidérant.
Nadia étend son linge au balcon de
l’appartement délabré que ses parents occupent depuis l’indépendance de l’Algérie
dans ce quartier populaire d’Arles. Elle ne connait de l’Algérie que ce que lui
ont raconté ses parents. Elle n’y a jamais mis les pieds. Née en France, elle
sait que son père, combattant dans les rangs de l’armée française, a dû quitter
précipitamment l’Algérie au début des années soixante. Il lui arrive de penser
parfois à ce pays baigné de lumière qui ne sera probablement jamais le sien.
Hector exerça de nombreux métiers dans la banlieue parisienne. Il milita dans
des organisations de nostalgiques de l’Algérie française souvent proches de
l’extrême droite. Il les quitta l’une après l’autre car il surprit à plusieurs
reprises quelques de ses amis politiques, attablés avec lui autour du même
repas, en train de se congratuler en utilisant le salut hitlérien. Mais il ne
changea jamais d’avis ni sur l’Algérie, ni sur le colonialisme et cultiva avec
l’âge la haine des immigrés.
Jacques est à la retraite. Il porte en bandoulière ses souvenirs d’ancien appelé
du contingent en Algérie. Il se souvient de ces années de feu et de sang
passées dans les rangs des commandos ou il dû affronter dans l’Ouarsenis la
combativité et la détermination des combattants de l’ALN. La nuit, le souvenir
de ses camarades morts au combat et celui des sévices infligés aux blessés
algériens le hantent et l’empêchent de dormir. Il essaye d’oublier comme il
peut ce pays ou il vécut les plus douloureuses années de sa vie.
Clothilde est dans son jardin. Elle
appartient à une très ancienne famille protestante originaire de l’est de la
France. Ses parents n’ont jamais visité l’Algérie. Ils n’ont connu ce pays que
par le combat qu’ils ont mené pendant leur jeunesse contre le système
colonialiste et contre la torture. Ses parents ont cette noblesse des justes
qui vous oblige à réagir et à refuser que l’infâme ne soit commis dans le
silence des consciences.
Albert est proviseur d’un célèbre lycée parisien réputé pour ses classes de prépas. Il est agrégé de lettres
françaises, humaniste et aime l’Algérie. Son père natif de Blida, militant communiste
et grand ami des nationalistes algériens, y était instituteur. Albert grandit
au quartier des trois-Horloges. Il aime cet endroit célèbre et demande toujours
à des personnes de passage à Paris de lui décrire ce qu’est devenue cette
légendaire place d’Alger. Son enfance a baigné dans la musique Chaabie qu’il affectionne
particulièrement. Sa famille est depuis des siècles native d’Algérie.
En plus de parler l’hébreu, Léon s’exprime parfaitement en arabe et maitrise
le parlé algérois. Il vit à Jérusalem et s’intéresse à l’Algérie dont il suit
l’évolution de la situation politique. Il continue de rédiger à ce sujet des
notes de synthèse quotidiennes en exploitant les informations qu’il reçoit de
partout dans le monde. Léon quitta la France et s’installa avec ses parents en Palestine ou il fit
carrière dans l’armée. Il exerça ses talents de fils «d’ancien baroudeur d’Afrique du Nord » et participa activement
à de nombreuses exactions commises contre le peuple palestinien notamment à
Gaza. Il déclara abusivement un jour, à propos de cette ville, n’avoir pas
utilisé la «méthode algérienne» en
référence à une supposée méthode utilisée dans la gestion des événements qui se
déroulèrent en Algérie en octobre 1988.
Contrairement à Albert et Clothilde dont les parents étaient amis et fervents
défenseurs de la cause algérienne, ceux d’Hector et de Léon étaient activistes
de l’Algérie française, viscéralement antimusulmans et membres pour certains
d’entre eux des fameux commandos delta de l’OAS. Durant la colonisation de
l’Algérie, des membres de leur familles respectives négocièrent et arrachèrent
le fameux décret Crémieux qui conféra aux Juifs d’Algérie le statut de français
à part entière et les distingua des autochtones. Ces derniers demeurèrent prisonniers
du fameux statut de l’indigénat qui leur conféra pendant de nombreuses
décennies le statut de race inférieure dans le pays de leurs ancêtres jusqu'à
ce que la révolution armée de 1954 et l’indépendance nationale ne les libèrent
et leur permettent de recouvrer liberté et dignité. Les parents de Léon et d’Hector
ont en réalité fui l’Algérie. Ils avaient les mains rouges.
Amina est heureuse. Elle vit entourée de ses enfants et
de ses petits-enfants. Sa jeunesse ne fut pas de tous repos. Durant deux
décennies, elle exerça le métier de femme de ménage et travailla chez de
nombreuses familles françaises pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle
trima dur pour élever ses enfants et la mort de son mari, renversé en 1957 au
bastion d’Alger par un vieil autobus en partance pour Boufarik, ne lui facilita
pas l’existence. A l’automne de sa vie, Amina se souvient toujours de ce passé
si douloureux mais regarde l’avenir avec sérénité.
Roger est un ancien curé d’une petite paroisse située dans le sud-ouest de
la France. Durant de nombreuses années, il a été économe dans un établissement
d’enseignement catholique situé à Alger, ville ou il a vu le jour. Il a dû
renoncer à sa fonction dés la rétrocession
à l’enseignement public de l’établissement dans lequel il passa la plus grande
partie de sa vie. Roger se souvient de ses années mouvementées algériennes. Mais
il garde aussi en mémoire ces moments de partage avec les plus démunis et espère
retourner un jour là-bas pour y finir ses jours.
Saïd quitte comme chaque matin sa Casbah
natale pour rejoindre la petite embarcation qui lui permet de subvenir aux
besoins de sa famille. La mer est de moins en moins généreuse et le poisson se
fait rare. Les murs de sa maison portent encore les stigmates des combats
héroïques de la bataille d’Alger. Sais est triste de voir des pans entiers de
son quartier tombaient en décrépitude. La Casbah se meurt en silence et la
mémoire d’Alger disparaît peu à peu. Il est parfois en colère mais est
convaincu que les choses finiront par s’améliorer même si les fruits de l’indépendance ont parfois été
confisqués.
Albert a promis de revenir un jour à Bâb el Oued. Ses amis d’Algérie et
quelques uns de ses proches, de confession juive, restés encore au pays
l’appellent de temps à autre pour lui donner des nouvelles.
En ce début de printemps 2013, l’air d’Alger a comme une odeur de poussière.
La ville vit au rythme des soubresauts de la société algérienne et ses rues
vibrent de nouveau. Tous les moments sombres de l’Algérie
indépendante sont revisités et débattus par une opinion qui étouffe, refuse
l’amnésie et veut se libérer de cette chape de plomb qui n’a que trop duré et
qui empêche le pays d’émerger.
Omar à la mine triste. Il vient
d’apprendre la mort de son vieil ami et frère de combat. Un célèbre avocat
algérien, grand militant de la cause algérienne et défenseur acharné des droits
des plus humbles vient de quitter ce monde. Il appartenait à cette race des
seigneurs, à ces justes qui ont toujours préféré l’ombre pour que la lumière puisse
mieux jaillir et éclairer les autres. Que son âme repose en paix !
L’appel du Muezzin se fait entendre et la mosquée est
toute proche. L’Islam illumine toujours de sa lumière la ville d’Alger.
Ali vient de sortir de prison pour délit d’opinion et activités politiques dans
une organisation dissoute. Il est fils unique et vit avec sa famille dans cette
vieille maison du quartier de Cervantès. Ce matin, il s’est recueilli sur la
tombe de son père Amine, tombé en
martyr en 1959, au Clos-Salembier, sous les balles assassines de parachutistes
en patrouille. Il n’a pas eu la chance de connaitre ce père disparu à la fleur
de l’âge après avoir accompli sa mission. Il en est particulièrement fier.
Des
bruits d’une colère diffuse se font parfois
entendre et décidemment dans ce pays le vent de la contestation ne cessera
jamais de se lever. Il faut vite partir et
quitter la plage pour ne pas subir la fougue des vagues.

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